Quelle place pour les artistes et auteurs « racisés » dans le milieu artistique et culturel ?

Quelle place pour

les artistes « racisés »

dans le milieu artistique

et culturel

Le 21 mai 2022 à 19h30 a eu lieu une nouvelle table ronde qui interroge la place des artistes et auteurs dans le milieu de la culture.

Quand et pourquoi décide-t-on de créer ? D’où parlons-nous ? Quels sont les différents obstacles rencontrés ? Comment les franchir ? 

©photo-doubleface

Les auteurs ou artistes « racisés » sont souvent ramenés à leurs origines réelles ou supposées, qui ne correspondent pas au regard que devrait pourtant leur porter le milieu culturel et artistique français, invisibilisation. Ces créateurs « racisés » ont fait le choix de créer, d’investir des espaces où on ne les attend pas.

Quels obstacles spécifiques rencontrent-ils ? Quels espaces leur sont accessibles quand ils entreprennent de créer ? S’auto-censurent-ils pour réussir à investir ce milieu où ils sont sous-représentés ? Comment réussissent-ils à s’imposer pour exercer leurs arts ? Enfin, ces difficultés inspirent-elles leur création, la manière dont ils créent ou encore le public à qui ils s’adressent ? Ils sont artistes, auteurs et chorégraphe ; ils sont français ou non ; ils se considèrent comme « racisés » ou pas, mais dans leur métier, tous ont en commun de vivre le racisme ou d’en être témoins. Alice Diop, Grace Ly, Rokhaya Diallo, Bintou Dembélé et Sherine Soliman nous font le récit de leurs expériences.

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©photo-doubleface. De gauche à droite, Rokhaya Diallo, Bintou Dembélé, Sherine Soliman, Alice Diop et Grace Ly.

PRÉSENTATION

Rokhaya Diallo : est une journaliste française, autrice et réalisatrice reconnue pour son travail en faveur de l’égalité raciale, de genre et religieuse. Elle est éditorialiste pour le Washington post et chercheuse au centre de recherches : « Gender + justice initiative » de l’université de Georgetown (Washington). En France, elle est chroniqueuse pour la radio sur RTL et la télévision sur LCI, BFM et C8. Rokhaya Diallo a également crée le podcast « Kiffe ta race » (Binge audio) dédié aux questions raciales. Il a été classé parmi les meilleurs podcasts par Apple en 2018. 

Bintou Dembélé : est reconnue comme l’une des pionnières du hip hop en France. Elle commence à danser en 1985 et fonde les origines de son geste dans ce mouvement. Sa démarche artistique aux influences plurielles, mêle la musique répétitive et les polyphonies rythmiques aux Street Dance. Elle explore les cultures de la marge, les mémoires rituelles et corporelles, questionne le genre. Elle crée depuis 2004 6 créations qui seront données en France et à travers le monde. Elle fait son entrée en 2019 à l’Opéra de Paris, où elle signe la chorégraphie des Indes galantes, opéra-ballet mis en scène par Clément Cogitore et dirigé par Léonardo García Alarcón. En 2020, elle chorégraphie un solo pour une danseuse du Ballet de l’Opéra de Lyon. Elle est artiste associée aux Ateliers Médicis et l’une des dix artistes internationaux invités aux dix ans du centre Pompidou-Metz. En 2021, elle inaugure la Villa Albertine à Chicago avec une résidence d’écriture de trois mois.

Sherine Soliman : est né à Évry et a grandi dans l’Essonne (91). Après un parcours scolaire en demi-teinte (un redoublement et un baccalauréat littéraire passé de justesse au lycée Robert Doisneau à Corbeil-Essonnes), il suit des études de Lettres à l’université Sorbonne-Nouvelle, obtient son Master et est admis au CAPES de Lettres Modernes l’année suivante. Il enseigne aujourd’hui dans un lycée du Val-de-Marne et a auparavant passé six belles années dans un collège de Saint-Denis (93). Souleymane est son premier roman. 

Alice Diop : après un Master en Histoire obtenu à l’Université Panthéon-Sorbonne et un DESS en sociologie visuelle, Alice Diop réalise depuis 2005 des documentaires de création, diffusés dans des festivals internationaux (Cinéma du Réel, BFI London, Karlovy Vary, Viennale etc … ). En 2017, elle obtient le César du meilleur court métrage pour son film « Vers la tendresse » ainsi que le Grand prix au Festival du Moyen métrage de Brive. Elle obtient la même année le grand prix de la compétition française au festival Cinéma du réel pour son long métrage documentaire « La Permanence » ; Festival ou trois ans auparavant elle remportait le prix des bibliothèques pour son film « La Mort de Danton ». Son dernier film « Nous » sélectionné en compétition Enconters à la Berlinale 2021 a obtenu le prix du meilleur film documentaire (Best documentary awards), et le Grand prix de la compétition Enconters. Son premier long métrage de fiction, « Saint Omer », écrit en collaboration avec sa monteuse Amrita David et l’auteure Marie N’diaye est en fin de post production.

Grace Ly : est écrivaine, réalisatrice et animatrice de podcast. Son roman « Jeune fille modèle » (Fayard, 2018) met en scène les désirs et doutes d’une jeune femme vivant dans le treizième arrondissement de Paris. Elle co-anime avec la journaliste Rokhaya Diallo, le podcast « Kiffe ta race » (Binge audio), qui interroge depuis 4 saisons les questions raciales dans la société française. Le livre éponyme (First, 2022) qu’elles ont co-écrit, porte des clés de réflexion sur l’antiracisme. Grace Ly a participé au recueil de nouvelles fiction jeunesse « Nos identités, celles qu’on nous impose, celles qu’on cache » (Rageot X Diveka, 2022).


Table ronde

Podcast et médias ajoutés

1-Q-Aya Cissoko : comment s’est passé l’aventure de s’exprimer ? pourquoi le faites vous ?

Bintou Dembélé: Est-ce que ça va ? c’est avant tout une forme de rituel, pour moi, c’est un rite de passage…

2-Q-Aya Cissoko : quel est ton public ?

Bintou Dembélé: Même si il y a un public autour, ce qui m’a happée et qui me happe tout le temps, c’est de rester à l’endroit du micro, et les danseurs que j’ai convoqués, rasemblés pour ce rite de passage…

3-Q-A.C. : et toi Alice, tu commences la réalisation en 2005. Qu’est-ce qui te pousse à vouloir créer et raconter tes propres histoires ?

Alice Diop : C’est marrant parce que 2005, c’est une date qui fait date collectivement, et je crois que c’est la 1ère fois où je me suis formulée…
Trailer du film documentaire Nous, d’Alice Diop, 2021

4-Q-A.C. : Rokhaya et Grace, le podcast kiffe ta race essaye de décortiquer les mécanismes raciaux, Rokhaya, tu n’es pas épargnée par la presse. Qu’est-ce qui te donnes cette foi pour continuer ?

Rokhaya Diallo : …Pour ce qui me concerne, 2005, ça a été une année vraiment fondatrice parce que c’est à la fois l’année des révoltes, après la mort de Ziheb Bena et Bouna Traoré…
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5-Q-Aya Cissoko : Grace Ly, tu décides de reprendre la narration à ton compte avec ton roman Jeune fille modèle. Qu’est-ce que tu as voulu dire par ce roman ?

Grace Ly : Je me retrouve dans tout ce que vous venez de dire comme la création comme une nécessité personnelle, un refuge, une protestation contre des représentations…

6-Q-Aya Cissoko : ce livre, (cf .Souleymane), c’est aussi un défi que t’ont lancé tes élèves ?

Sherine Soliman : Ça a été un déclic, là je suis très content, c’est la première fois de ma vie que je me retrouve avec des gens de mon équipe…

7-Q-A.C. : est-ce qu’on est obligé en tant qu’auteur racisé de se raconter soi-même (…) de raconter nos souffrances, nos oppressions ?

Bintou Dembélé : Je rêve du jour où je pourrais parler du bleu, je pourrais danser le bleu, j’attends le jour où ça sera possible…

8-Grace Ly : quelles sont les histoires qui sont mieux accueillies, (…) Comment on te regarde…

Grace Ly : Je dirais que lorsque je commence à écrire, je suis très consciente du fait qu’il y a des histoires qui comptent plus que les autres…

9-Alice diop : jusqu’à quand va-t-on devoir témoigner de la violence de vivre dans une société structurellement raciste ?

Alice diop : C’est une question extrêmement complexe, ma réponse ne peut être que très intime et très personnelle, et c’est de rester au plus près, au plus précis de mes besoins du moment…

10-Sherine Soliman : pour moi c’est impossible pour l’instant d’écrire quelque chose qui ne soit pas résistant ou politique.

Sherine Soliman : J‘ai adoré la formule qu’elle (Bintou Dembélé) a utilisée quand elle dit « j’adorerai danser le bleu », moi, je sais que c’est impossible pour moi d’écrire quelque chose qui ne soit pas résistant…
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11-Grace Ly puis Rokhaya Diallo : le statut de l’écrivain colonisé, nécessite de parler depuis soi, redonner l’importance que l’on a…

Grace Ly : Ça me fait vraiment penser à un extrait du livre d’Albert Memmi dans Portrait du colonisé…

12- Q-Aya Cissoko : quels sont les obstacles que vous avez eu à surmonter ?

Bintou Dembélé : Je me rends compte, pour reparler de l’opéra Les Indes Galantes que j’ai fait, je crois que j’ai du passer 70 % de mon temps à essayer de défendre mon espace en fait…
Duo de la cantatrice Sabine Devielhe et du danseur Cal Hunt repéré par Bintou Dembélé sur YouTube et invité à rejoindre le projet des Indes Galantes
Solo de Cal Hunt chorégraphié par Bintou Dembélé

13-Aya Cissoko et Rokhaya Diallo : l’affaire du nom de famille écorché

Rokhaya Diallo : Ce qui est fou c’est que c’est la version poche d’un livre paru 2 ans auparavant et franchement Diallo, ce n’est pas la partie la plus difficile de mon nom…

14-Sherine Soliman : Mon livre en auto-édition

Sherine Soliman : pour Souleyman, mon roman, je n’ai pas eu de problème, parce que j’ai tout fait tout seul, j’ai eu que des refus…

Lecture d’un extrait de Souleymane

15- Intervention d’une jeune autrice Awa : Anecdote de mes amis imaginaires…

Awa : … Je pense qu’on est à une époque où on a de plus en plus besoin d’avoir des personnes racisées qui s’expriment dans les industries culturelles…
©photo-doubleface Awa, jeune autrice

16- Questions du public : comment se fait-il que les vocables noir ou blanc soient utilisés pour désigner des humains sur terre ?

Rokhaya Diallo : … En fait, ces mots ne définissent pas des personnes mais des rapports sociaux, quand on parle de personnes noires ou blanches, on ne parle pas de couleur de peau mais de situation raciales…

17- Questions du public : est-ce que le fait d’être racisé.e.s vous a t-il empêché d’accéder aux moyens de création ?

Alice diop : C’est jamais complètement frontal, mais j’ai l’impression que les obstacles dont on parlait et les stratégies d’invisibilisation et de résistance à notre présence, c’est beaucoup plus insidieux…

18- Questions du public : milieu du spectacle, contrôle de la narration, de la représentation, appropriation culturelle

Bintou Dembélé : J’ai eu l’occasion d’assister à des commissions et jurys de projet, je me rends compte que celui qui a 90% de chance de gagner, c’est l’homme blanc…

19-Questions du public : handicap – L’artiste racisé doit-il toujours mettre le drapeau du racisme ?

20-Questions du public- intervention de Xuly bët dans le public